Patrouille
Hiver[modifier]
L’air est froid ce matin. Les perles de rosée ont rendues mes chausses poisseuses et mes bottes ne valent guère mieux que le fond d’une tourbière. Elles n’en ont pas les relents, heureusement... Pas encore ! Je ne sais si je m’habituerais un jour à cet environnement changeant, humide et glacé. Que revienne enfin la chaleur de l’été. Pour un temps si court...
Mais dans cet univers hostile, j’ai enfin une vie.
Jamais auparavant je ne l’avais envisagé. Je suis né homme, sans rang ni titre. Pour seul avenir, servir ma maison, et mourir pour elle. En soldat, En guerrier. Une arme, devrais-je dire. Sans réelle importance et dont on peut user à loisir. Je n’ai certes pas beaucoup plus de libertés, car ce n’est ni mon peuple ni mon monde. La peur des miens hante les esprits et les contes, nos ancêtres nous ont bâtit un royaume de haine. Elle transpire de chaque esprit, chaque plante, chaque pierre. Mais à la surface, mon destin n'est pas scellé.
Notre supériorité n’est que de peu de valeur devant leur nombre et je ne saurais dire si les prêtresses ont même conscience de ce fait, infatué qu'elles sont par la grandeur de leur déesse.
J’ai vu cinq hivers à la surface et je commence à peine à me faire accepter des habitants de cette région, sans doute grâce au rôle de scribe et de sage que l’on m’a confié. Car, si je sais me battre bien mieux que la majorité, il est vrai, en faire démonstration ne ferait qu’accroître le rejet, la peur ou la jalousie.
Ici, les gens ont des rêves, et essaient de les mener à bien… Dans mes bagages, je n'ai que des cauchemars.
Ici, ce sont les marches de l’Ouest. Des terres sauvages à peines contrôlées par les hommes. Le climat y est rude et la solitude plus encore. La lande et la roche se partagent ces terres de collines et de vastes plaines, laissant les combes et vallons à des bois centenaires résonnants du murmure des bêtes et de magie ancienne et elfique. Les clans éparses, à peine civilisés se livrent des escarmouches incessantes de rapines et de rixes sous l’œil vigilant et amusé de l’empire, à l’est, qui se garde d'intervenir. La vie est trop précieuse pour être gaspillée, à défaut d’être épargnée. Ici, existe le royaume de Larethia aux frontières invisibles, au milieu de nulle part. Loin des luttes politiques et des rivalités. Pour que se réalisent les espérances de chaque homme ou bête. Sans doute juste un rêve de tolérance...
Je m’appelle R’lydelein de la maison Eylserv et je suis Drow. Cela est d'une importance certaine et influence grandement mon jugement ainsi que ma vision du monde. Celui qui me haït jusque dans ma chair, sauf ici peut-être...
Ici, en Larethia, où ma naissance n’est pas une condamnation.
Printemps[modifier]
Le printemps tarde à venir cette année, les loups se sont faits plus entreprenants au cœur de l’hiver, et les patrouilles sont plus que nécessaires. Comme le millénaire se meurt, d’anciennes prophéties annoncent des jours sombres à venir. Et les oracles de tous royaumes disputent les visions et copies oubliées aux charlatans à grands renforts d’effets de manches et pyrotechniques. Gahan semble en accord avec ces prédictions, malheureusement.
L’inconfort de ces patrouilles est négligeable devant le relatif bon accueil que me font ces hommes. Solitaires de nature et rompus à l’hostilité de ce monde, ils restent cependant bien plus ouverts que les citadins bornés par les œillères de leur civilisation. Ils reconnaissent en moi un compagnon d'infortune et savent passer outre mon visage d’ennemi. Avec eux j’ai appris, beaucoup plus que ne laisse supposer leur allure sauvage. J’ai appris les bêtes et les plantes, les dangers et les merveilles de ce monde encore neuf à mes yeux. J’ai appris les hommes, également.
Aujourd’hui, étant de dernier tour de garde, je me suis acquitté des corvées matinales : le feu, les rations et le Kah, cette boisson du sud qui réveille l’esprit dont le seigneur fait commerce. C’est en allant chercher l’eau à la rivière proche que j’ai vu les traces du Reptile. C’est pour lui que nous sommes ici, avec le seigneur. Car il a déjà décimé une exploitation agricole et mis en fuite une patrouille : Un Behir.
Mes chausses finissent de sécher aux braises du foyer tandis que les hommes s’équipent. Ces tenues hétéroclites, aux pièces usées et rapiécées au fil des ans et des rencontres hostiles expriment le caractère et l’histoire de chacun comme autant de chapitres pour qui sait déceler ces signes et questionner. A chaque éraflure, un hasard, chaque cicatrice, un combat, chaque objet, une quête. Mon existence précédente me permet d’apprécier à leur juste valeur les gestes de chacun. Ces vérifications et rituels indispensables pour qui va affronter la mort et l’a déjà côtoyé à maintes reprises. Il n’est pas question ici d’uniforme, pas chez ces hommes libres qui ne servent que leur bon vouloir.
Seule Lienneh semble calme et sûre d’elle, de son matériel ; comme d’une seconde peau. Comme toujours, c’en est exaspérant pour moi qui n’ai plus ces repères… Elle est elfe et quelque peu prêtresse de surcroît. C’est troublant, et j’ai beaucoup de mal à réaliser que nos ancêtres étaient frères et soeurs par le passé. Tout diffère en nous et je ne crois pas qu’elle m’ai accepté. Elle me tolère mais plus comme un sujet d’étude et d’intérêt exotique, guettant le moindre faux pas. Les deux facettes d’un miroir dit-on de nos peuples…
Nous sommes peu nombreux pour cette expédition à vrai dire. Là où les puissants royaumes de l’est auraient dépêché un bataillon et du soutient logistique, nous ne sommes que huit. Y compris l’un des fils du seigneur qui s’aguerrit au sein de ces patrouilles. C’est une bonne chose me semble t’il que les dirigeants tâtent un peu des rigueur du terrain, et le seigneur est de cet avis. C’est lui qui ma demandé d’écrire. Pour lui, pour moi, sa famille et mon peuple. Pour que ne soient pas perdus ses cicatrices. Qu’elles puissent servir à d’autres gens de bonne volonté.
Il est aventurier lui-même, mais le terme « aventurier » n’est pas suffisamment vaste ou évocateur. Il est de ces personnes que le vocabulaire courant ne peut décrire et dont il faut plusieurs vies d’hommes pour accomplir le destin. Chez les elfes noirs également, il est des contes, des monstres et des démons pour effrayer les enfants indisciplinés et il en fait partie. A ceci prêt que tous le savent réel, un démon de chair et de sang. Car il fût l’un des nôtres, servant de la déesse et Prince du Royaume maudit d’Eriador.
Maintenant ? C’est pire. Il s'est relevé de sa disgrâce, magnifique et puissant dans son armure de nuit. Il se refuse à abandonner les idéaux de paix du dieu disparu des elfes de la surface et rêve de sauver mes frères des griffes de Llolth. Mais son courroux lui était déjà acquis.
Il s’agit du seigneur Konrad de Larethia.
Été[modifier]
Quelques insectes bourdonnent dans l’air, s’activant à leurs taches régulières avant les plus chaudes heures de la journée. Comme je gravis péniblement la colline, les folles graminées fouettent mes bottes dans la brise matinale. C’est l’été. Pour quelques temps encore. Le temps ici est bien trop rapide, les saisons bien trop fugaces. Ces bottes ne me feront peut-être pas la vie mais un homme est mort pour elles. Et j’en garderai la cicatrice dans ma chair carbonisée. Du Behir.
Konrad attend, calme comme l’œil du cyclone dans sa tenue guerrière. Imposant ! même pour un humain.