Cours Magistral
Cité de Téphèbe, Cours magistral de théorie Magique, 3eme cycle d'études généralistes.
Les "élèves" d'âges et de fonctions diverses sont majoritairement des auditeurs libres. Si ce n'est quelques académiciens de vocation, il est rare d'y croiser ceux que l'on pourrait qualifier d'aventuriers. La plupart ayant déjà un usage et des postes nécessitant une certaine connaissance des pratiques magiques, ils discutent tranquillement, par cercles d'affinité, des derniers potins de la cité en attendant l'arrivée de l'intervenant du jour. Comme le professeur fini par entrer dans la salle après avoir passé la tête par la porte et jeté un œil circonspect alentour, les conversations s'estompent alors qu'il s'assoie, décontracté, et prend la pose sur le bureau.
- Vous avez cours de quoi ?
Les étudiants, quelque peu surpris par l'intervention et la question, s'interrogent du regard avant que l'un d'eux n'exprime les doutes de l'ensemble : Théorie Magique. C'est vous qui allez donner le cours ? Maitre Izard n'est pas là ? La question n'est pas complètement dénuée de fondement puisqu'ils n'ont que rarement l'occasion de croiser ce professeur, une jeune femme à l'aspect singulier, habituellement à l'étage des novices. La chevelure d'un blanc lumineux et les yeux couleur améthyste n'aident pourtant pas à passer inaperçue. Mais l'aura de confiance qui l'entoure fait taire les commentaires.
- Vous le voyez, vous ? Oui, c'est moi qui vais assurer le cours de ce jour. Troisième cycle, intéressant… Bien, commençons !.. On pourrait concevoir que la magie se divise en deux principales catégories. Ôtez-vous au plus vite cette idée de la tête. Rien ne saurait être plus faux. Je sais qu'il s'agit là de la notion qui vous a été inculquée lors de la première partie de votre cursus, j'étais moi-même assise sur ces bancs il y a peu, et effectivement cette notion suffit amplement aux utilisateurs de magie commune jusqu'au cinquième cercle. C'est pourquoi je ne saurais que trop vous… Oui ?
<murmures, une main s'est levée dans l'assistance>
- Comment pouvez vous qualifier le cinquième cercle de magie commune ?
- Ah… On en est là. Je vois qu'il va falloir reprendre depuis les fondamentaux… Un peu de silence au fond, s'il vous plait ! Concentrez vous et comprenez, une holographie sera disponible après le cours pour les plus inattentifs… ou les plus lents. Ce qui ne gage nullement de vos qualités propres, ni de la connaissance que vous pourrez acquérir. J'étais moi-même une élève assez médiocre et dissipée. Donc… Voyons… Nous allons envisager une approche différente.
<après une courte pause, elle reprend>
Si ses modes d'utilisation sont bien plus nombreux, ce que nous appelons la "magie" se réfère, dans les faits, à une seule et unique interaction avec le réel. Entendez par là : la façon dont les choses sont. Un certain état de stabilité qui permet de définir les propriétés et les lois qui régissent ce que nous percevons comme étant notre environnement matériel, et que nous nommerons pour une raison pratique : Réalité. Encore que ce terme soit pour le moins inexact, de même que la magie influe sur lui... Je sais, c'est exactement ce que je viens de vous dire.
Sans même parler de magie, l'étude et l'adaptation à cette Réalité nous permet d'en définir toujours mieux les propriétés, les limites, et de concevoir des concepts permettant au mieux de remplir une fonction. Prenez ce simple bol qui pourrait vous sembler trivial. Ne vous êtes-vous jamais posé la question du degré d'ingéniosité et de connaissance que son existence a nécessité ? Car passé la compréhension du phénomène de l'écoulement de l'eau, qui est de portée animale, et certaines espèces pourraient vous étonner, il a fallu concevoir, modeler une argile, la durcir au feu, la rendre imperméable, assurer sa stabilité, etc. etc. Chacun de ces processus nécessitant en lui-même des connaissances approfondies qui font certainement défaut à la majorité d'entre vous.
Vous avez certainement déjà évoqué lors de sessions précédentes l'existence des plans d'existence multiples où ces constantes de réalité ne le sont pas, justement. C'est exactement de cela que l'on parle, il n'y a nulle loi, nulle Réalité gravée dans le marbre. Tout n'est qu'un équilibre, extrêmement stable, mais infiniment précaire. Si la Réalité a une très forte inertie, elle est modifiable, vous en avez tous fait l'expérience.
<Comme elle fait léviter le bol d'une brève passe magique avant de reprendre>
Car user de magie n'est rien d'autre que cela : déstabiliser la Réalité.
- Mademoiselle, nous ne sommes plus des novices !
- Vous croyez ? Qu'ais-je fait à l'instant ? léviter ce bol, me direz-vous. Et vous seriez dans le juste. On pourrait y voir l'utilisation de sortilège commun, mais dites-moi, vous là-bas… je n'ai pas votre nom. Votre perception active de la magie devrait vous donner une autre vision de la chose.
- … C'est Lunorin Nieven. Effectivement, je ne perçois aucune émanation magique… Comment est-ce possible ? Et comment savez-vous pour moi ?
- Ha !.. C'est très simple. Ce que vous appelez Magie… n'en est pas ! Enfin… si, mais pas exactement. Je vous ai dit que la magie était le principe d'influer sur le réel, et ceci peut s'effectuer à plusieurs niveaux. Cela demande connaissance, volonté et pratique, mais je ne vous apprends rien. On vous a très certainement imposé le principe de Sortilège. C'est efficace, mais jusqu'à un certain point. J'en ai moi-même un plein recueil, austère et aride. La maitrise des sortilèges est une discipline qui ne laisse pas place à l'improvisation. Quelqu'un a une idée de la raison ?.. Non, personne ?..
Prenez le cas de la magie profane, la sorcellerie, ou même de ce que l'on nomme magie cléricale… Vous l'avez étudiée ? Non ?.. Ces magies, bien qu'il s'agisse fondamentalement du seul et même principe de levier, ont des mises en place sensiblement différentes, mais conduisent aux mêmes effets. Et les Sortilèges, donc, ne sont que cela : des leviers. Voyez cela comme des poids dans la balance de la Réalité, de la forme la plus basique, plus ou moins longs, ou permanents, et qui changent les règles, mais à votre niveau !
Et c'est là où je veux en venir en parlant de niveau. En utilisant un sortilège, une formule établie et immuable, vous contournez les règles pendant un temps, en fonction de votre compréhension, mais dans le cadre établi par un autre. Un sortilège est une formule éprouvée, pratique, accessible à n'importe qui, mais qui ne peut outrepasser vos propres limitations, ni les siennes. C'est la forme la plus communément transmise, et très certainement ce que l'on vous a inculqué, vous n'avez donc aucune honte à avoir à utiliser des sortilèges. Moi-même, j'en use souvent. Mais… Oui ?
- Nous avons tous ici une expérience éprouvée des arts magiques. Hormis nous offenser, où voulez-vous en venir ?
- Veuillez m'excuser, ce n'est nullement mon intention, je ne faisais que présumer de faits. Vous usez de sortilèges, non ? Je vais préciser mes propos, la compréhension se fera d'elle-même.
Le principe de base que l'on vous a toujours enseigné, est que Réalité et Magie sont deux entités différentes… C'est faux ! Tout n'est qu'un.
Nous, utilisateurs de magie, pouvons nous sentir supérieurs de par notre pratique, et dans les faits nous le sommes, c'est vrai, mais rien ne nous différencie d'un vulgaire caillou. Nous n'avons ni plus, ni moins de présence ou même de conscience. Un caillou est autant capable que le plus éminent d'entre nous de changer la face de ce monde. Et tant que vous n'en aurez pas pris la mesure vous aurez des difficultés à appréhender ce qui va suivre.
<l'assistance, composée de certains éminents mage de la cité, s'échauffe quelque peu devant ce qui apparait une remise en question manifeste de leurs capacités>
… Un souci ?.. Si quelqu'un trouve à y redire, qu'il m'expose le principe de conjuration de météore ou de porte planaire, je serai plus qu'inclinée à recevoir ses doléances... Non ?.. Nous pouvons poursuivre ? Franchement… J'ai fait cours à des Novices moins dissipés...
Vous ne devez pas concevoir les sortilèges comme un dogme immuable, car même à ce niveau, il n'en est rien. Il a été démontré depuis des générations qu'aucune des composantes nécessaires à la réalisation de magie n'était réellement indispensable. Tant verbale que somatique ou matérielle. Considérez les pour ce qu'elles sont, de simples focus. Il faudrait être un abruti fini pour envisager que de la poudre de pierre serait en mesure de pétrifier quelqu'un, une aile de chauvesouris le faire décoller ou la poudre de diamant le ramener à la vie. Tout n'est qu'une question de savoir faire.
<murmures>
Quelqu'un a évoqué les "Arts magiques", oui, c'est une façon de voir les choses. Mais ne trouvez-vous pas étrange que ce terme d'Art soit utilisé pour une discipline que vous semblez vous représentez si contraignante ? C'est qu'il n'en est rien, la magie est libre et tient tant de l'art que de l'artisanat, car il ne saurait, non plus, être question d'avancer à tâtons. Les sortilèges sont des outils intéressants pour acquérir les bases, mais en y consacrant temps, discipline et la créativité adéquate, il est aisé de s'en passer.
- Attendez, attendez ! Qu'entendez-vous par là ?
- Ah… Je vous parlais du tout, du caillou et du principe de réalité. Une seconde, s'il vous plait…
<Elle sort une cuillère pour sucrer et touiller le contenu du bol d'où émane un léger parfum de thé exotique, et désignant la cuillère.>
C'est on ne peut plus simple… Vous voyez cette cuillère ? Oui ?.. Bien. Cette cuillère n'existe pas... Ou peut-être… Ou elle n'existe que trop… C'est à vous de décider. Je peux la briser, la désintégrer, l'invoquer, la conjurer, les moyens sont multiples. Je pourrais même la souhaiter, et en appeler aux dieux pensez-vous. Ah, Foutaises ! Vous croyez sincèrement que les dieux en auraient quelque chose à faire de me fournir une cuillère ?.. Non, sérieusement.
<lançant négligemment l'objet qui s'évapore avant de toucher le sol>
Bien que disparue, cette cuillère a toujours autant de consistance que… le cœur trépidant de votre condisciple du deuxième rang qui semble en pincer pour moi… Non, ne niez pas, mais vous feriez mieux de vous sortir immédiatement cette idée de la tête. Vous serez ruiné, déçu et très certainement aigri, je ne vous le souhaite pas.
- Dites ?! Vous êtes barde, en fait ? <venant d'un peu plus loin>
- On m'a déjà fait la réflexion et l'expérience n'aurait pas été pour me déplaire, mais non, je maitrise les arcanes. Il n'est jamais trop tard, remarquez.
Pour en revenir à la cuillère et notre manière d'influer sur son état, ou même son existence, vous devez bien comprendre une chose : Ce n'était nullement une vue de l'esprit quand je vous affirmais qu'elle n'existait pas, ou trop. La vue de l'esprit, c'est vous-même qui devez la concevoir et la mettre en œuvre. Et cela est possible car tout est lié. La magie ne fait que changer un paradigme… matériel, d'après vous ? Non, magique. J'utiliserai ce terme pour simplifier, bien que lui non plus ne soit pas des plus adéquat. Car bien que la vision améliorée de monsieur… Nieven soit assez perçante, elle ne l'est malheureusement pas suffisamment pour discerner les infimes fluctuations de la Trame… Oui ?
- La Trame ?
- Ah, oui... Mon père a du mal avec ça aussi. Alors… pour faire simple, la trame est le tissu magique qui relie toute chose, mais bien au-delà de ça… La Trame est le tissu magique de toute chose. Ce que je nommais le Tout : vous, moi, le caillou, la cuillère. Ce qui fait que même non existante, la cuillère existe. C'est le principe même qui permet de ramener quelqu'un à la vie du néant, par-delà les barrières du temps et de la matérialité. Vous avez sans doute déjà évoqué les concepts d'âme ou d'esprit, le repos des morts, tout ça. Et vous vous êtes dit que l'on ne faisait que rappeler l'âme d'un mort de son paradis planaire. C'est pas faux. Mais ça n'explique pas pourquoi cela fonctionne quand le corps est détruit, ni même comment un sortilège pourrait donner conscience à un caillou.
Vous vous souvenez, le caillou ?
Oui, vous dites ?.. L'intervention divine ?..
Sérieusement ?..
Un coup de baguette magique, trois offrandes et les dieux sont tout puissants ?..
Ça serait si simple… Et vous avez raison. C'est exactement ce qu'ils font ! Ils le font à notre place, mais ça ne veut pas dire que vous n'en êtes pas capables. Ça demande un peu de temps et de pratique, je ne vous le cache pas, et…
- Qu'est-ce que vous faites là ?
La silhouette d'un homme sec et respectable s'est encadrée dans la porte. L'homme semble manifestement surpris de voir quelqu'un en lieu et place des fonctions professorales qu'il occupe habituellement. La jeune femme descend prestement du bureau avec un sourire éclatant vers le nouvel arrivé.
- Laureus !.. Heu, professeur Izzard. ravie de vous voir en si bonne forme, j'ai cru comprendre que vous étiez souffrant…
- Quand bien même, pouvez-vous m'expliquer ce que vous pensez faire là ? Et de quelle manière je peux vous faire comprendre qu'une étudiante de premier cycle n'a pas à usurper la place d'un maitre thaumaturge ?.. Qu'est ce qui vous passe par la tête, bon sang ?
- J'avais du temps entre deux cours, et il n'y avait personne. Je trouve ça un peu facile, votre attitude à toujours rejeter la faute sur les autres.
L'éminent professeur se contient à grand peine avant de soupirer…
- Tzolo, vous semblez avoir des aptitudes et l'on vous a autorisée à suivre les cours des poussins ou jeunes novices sur recommandation de je ne sais qui. Mais sachez que cela ne vous accorde pas un statut particulier et qu'en aucun cas votre présence à l'étage des Phoenix n'est souhaitée ni souhaitable. La magie, ici, peut se montrer hautement dangereuse… Bien, veuillez regagner votre classe, j'en toucherai deux mots aux doyens.
- Bien compris, à plus tard.
Et elle s'esquive Vivement de la salle, comme le professeur regagne son bureau en marmonnant.
- Bien, que disions nous la dernière fois ? Les deux principes de magie, non ?..
- Attendez ! C'est une élève ?
- Oui... Et… Qui peut me dire ce que fait cette tasse en lévitation ?